« Pour ce projet de L’Arche de Noé de Britten, je prépare les enfants, sur le plan vocal et je dirige l’ouvrage ! »

         Je suis Karine Locatelli, la cheffe de chœur de la maîtrise de l’opéra de Lyon. 

On sait que Britten a écrit cet opéra pour les enfants. Pourquoi avoir des enfants est aujourd’hui majeur afin de représenter ce projet ?

  Alors c’est vrai que l’opéra L’Arche de Noé est écrit pour les enfants. Britten affectionnait beaucoup les voix en général, donc il a beaucoup écrit pour la voix. Tant la voix des adultes que celle des enfants. Ainsi pour la maîtrise, nous allons beaucoup puiser chez ce compositeur car tout ce qu’il écrit est très bien adapté à la voix des enfants. C’est un fait assez rare. Il y a une certaine richesse de ce point de vue. C’est un projet qui s’adapte aux enfants pour l’histoire qui est racontée. C’est aussi un projet très intéressant à monter avec des enfants. Dans cette partition, les différentes parties sont très contrastées en fonction du caractère des personnages, c’est très amusant à faire. Il y a beaucoup de moments très différents dans la dramaturgie: de colère, d’humour, c’est riche à tout point de vue.

Puisque le projet est pour la maîtrise de Lyon, nous voulions savoir un peu comment se passe le travail avec des enfants. Travaillez-vous aussi avec des adultes ? Voit-on une différence avec les enfants ?

Je travaille actuellement qu’avec des enfants. Il peut m’arriver de travailler avec des adultes, avec des chœurs, des solistes et des instrumentistes. Il faut savoir qu’à la maîtrise les enfants sont un petit peu considérés comme des professionnels, par conséquent nous les voyons chaque jour. On a beaucoup de chance de pouvoir effectuer ce travail de fond et de longue haleine avec eux. Ce sont donc des enfants qui sont formés au chant et à la scène dans leur parcours. Donc on peut avoir une certaine exigence envers la qualité comme avec des professionnels, si ce n’est pas encore bon, on prend un peu plus de temps. L’important pour nous en tant qu’encadrant de la maîtrise, est de mettre l’enfant à l’aise sur scène, qu’il se sente bien. Il faut que l’enfant ait le temps d'ingurgiter les choses, de digérer, de les approprier afin d’être à l’aise sur scène.

Quand ils montent sur scène, cela signifie qu’ils sont prêts, qu’ils sont capables de le faire, qu’ils sont capables de progresser et d’y trouver beaucoup de plaisir. Donc c’est toujours un peu un équilibre entre ce qu’on attend  d’eux, l’exigence artistique que l’on a et puis le plaisir qu’ils vont en retirer, les progrès qu’ils vont faire avec.

Quel est votre quotidien dans ce projet en tant que chef de chœur ?

  Aujourd’hui, on en est à l’étape des mises en scène avec le piano MSP. Dans un premier temps, les enfants ont appris la partition: un travail purement musical avec des répétitions du chœur et des solistes. Je travaille avec Grégory Kirche, notre pianiste et chef de chant à la maîtrise, qui a préparé les enfants solistes. Une fois que la partie musicale est prête, on entre dans cette phase où les enfants apprennent la mise en scène, phase que nous travaillons actuellement. Donc le metteur en scène arrive avec toute son équipe, ils se plongent dans l’univers de ce que veut raconter le metteur en scène, de ce que raconte l’ouvrage. C’est donc vraiment un moment clé et important du montage d’un opéra, parce qu’en fait il faut s’approprier l’espace, la gestuelle, tout en intégrant le chant. La spécificité de l’opéra est de jouer et chanter en même temps. 

Et puis là avec Silvia, on est dans un travail très intéressant et très enrichissant pour les enfants ; parce que c’est énormément un travail sur le geste et sur la musicalité de la gestuelle. C’est vraiment le geste et ce que dégage le corps et complètement en parallèle de la musique en fait. Donc le geste enrichit la musique et la musique enrichit le mouvement. C’est vraiment ce travail qui est intéressant. En tout cas pour nous, c’est un peu une première.

Et puis là on aura une petite pause pour ce projet parce qu’on aura d’autres projets entre-temps. Ensuite, on va arriver dans une troisième phase du travail, c’est être dans le lieu. Vraiment dans le lieu de spectacle. Il faut à nouveau s’habituer à la nouvelle salle, à l’espace et aux distances qui sont plus grandes et à l'arrivée des instrumentistes. Donc, on joue dans une version un peu particulière de piano et percussion. C’est un peu un arrangement de cet ouvrage, ça sera la dernière phase avant l’arrivée du public.

Donc par rapport à votre rôle, vous vous occupez d’abord du chant. Pour les techniques vocales, quels sont vos conseils et votre méthode de travail ?

Alors, moi je ne m’occupe pas spécifiquement de la technique vocale. A la maîtrise, nous avons beaucoup de chance, nous sommes toute une équipe de professeurs qui encadre les enfants ; à commencer par le piano, l’éveil corporel, un travail théâtral qui est hebdomadaire et au niveau de chant, ils ont aussi de la technique vocale avec des professeurs qui les prennent un par un ou deux par deux. On va vraiment travailler sur la voix de l’enfant en particulier, c’est un entraînement du souffle, de la technique et de comment bien utiliser sa voix. Et ce aussi pour ne pas se fatiguer, car quand on a des périodes avec des répétitions tous les jours, pendant deux heures, c’est assez exigeant pour la voix, puisqu'elle est un muscle. Donc on fait souvent le parallèle avec le travail des sportifs. Dans cet ordre-là, il y a l’idée que plus on a d’outils pour l’utiliser, moins on se fatigue et mieux on l’utilise.

Donc ce n’est pas moi qui m’occupe de la technique vocale mais mes collègues, c’est leur spécialité en tant que professeurs de chant. Moi je suis cheffe de chœur, je fais chanter les personnes ensemble et aussi chef d’orchestre pour l’ensemble de la production. 

On peut dire que les enfants sont bien encadrés, par une équipe très riche et solide.

Qu’aimez-vous dans votre métier?

Tout. Ce que je veux dire c’est que c’est un métier de passion, ça c’est sûr, qu’on ne s’ennuie jamais parce que les ouvrages et les projets s'enchaînent mais ne se ressemblent pas. On ne raconte jamais la même histoire, on rencontre des tas d’artistes différents: un nouveau metteur en scène, un nouveau musicien avec qui travailler. On embarque les enfants dans un projet passionnant. C’est aussi eux qui portent ce qu’ils racontent, c’est avec les personnalités de chacun. J’adore la musique évidemment, le contact avec les gens, le groupe. L’osmose du groupe qui va de paire avec l’osmose d’un beau son de chœur, ça oui ça me plaît vraiment.

Pour votre fonction dans L’Arche de Noé, quel est votre parcours d’étude? Est-ce que vous pratiquez un instrument?

Au départ, je suis clarinettiste. J’ai commencé par des études de clarinette, j’ai fait de l’orchestre en tant qu' instrumentiste, avant de devenir chef d’orchestre. Et ensuite de décider de compléter un peu cette formation de chef d’orchestre par le chœur, c’était un peu ce qui me manquait dans mon parcours. Et puis finalement j’ai complètement bifurqué dans l’opéra grâce à cette dernière petite branche du chœur.

Enfin, vous avez gagné le prix Liliane Bettencourt en 2019. Qu’est-ce que cela signifie? Qu’est-ce que cela vous a apporté?

Le prix Bettencourt pour le chant choral est une belle reconnaissance, en tout cas dans le milieu et dans le cercle du chant choral en France. Si je ne me trompe pas, le concours a lieu un an sur deux pour les chœurs d'enfants et en alternance avec le chœur mixte. Donc c’était une très belle reconnaissance pour la maîtrise évidemment. À un moment donné, la reconnaissance vient par le travail au quotidien, notamment avec les professeurs encadrant les enfants et travaillant d’arrache-pied avec eux, puis avec les enfants qui ont donné le meilleur d’eux-mêmes.

Et l’obtention du prix Bettencourt nous a permis de mettre en place des projets, par l’apport de moyens financiers. Mais c’est vrai que sur le papier, c’était une belle récompense. On a eu la chance d’aller à Paris, quelque part pour la remise du prix de cette cérémonie un petit peu officielle où les enfants ont pu chanter une partie à l’institut de France. C’est aussi un très beau moment de groupe et d’ensemble.

La maîtrise est une vraie famille. On a l’impression qu’elle est éternelle mais en réalité un enfant qui resterait sur tout le parcours est rare. C’est assez exceptionnel mais il y a des enfants qui font onze années, c’est plutôt souvent cinq, six ans peut-être huit ans, mais malgré tout  c'est une grande famille. Il y a une grande complicité entre petits et grands. Les petits admirent beaucoup ce que font les grands, qui sont dans l’idée de progresser et puis de faire comme eux un jour. Oui c’est très beau la maîtrise.

 Comment s'est passée la période COVID?

C’était très difficile parce qu’on a été soumis au protocole de l’éducation nationale. Donc les enfants masqués du matin au soir pour chanter, c’est comme dire “ça ne sert à rien”. On a perdu pendant deux années le plaisir du son, c’est énormément fatiguant, comme tout le monde j’ai envie de dire et peu importe le métier. Imaginez que l’émission du son passe par la bouche, donc voilà. Pas de soufflets, pas de plaisir, on s'entendait moins que d’habitude, il n'y avait pas d’harmonie aiguë. 

C’était une période vraiment difficile et d’annulation de productions donc à chaque fois des déceptions: on travaille puis on ne joue pas encore et encore. C’était vraiment difficile, je pense que comme tous les groupes et ensembles musicaux, la maîtrise en a beaucoup souffert. 

Mais on est d’autant plus content de rejouer. On a des concerts la semaine prochaine, la dernière fois que nous les avons faits il y a un an, c’était avec des masques. Pourtant on a tendance à oublier car cela passe très vite mais il y a eu ces soucis. Beaucoup d’enfants se sont découragés, il n'y avait rien de vraiment valorisant à chanter avec un masque. On avait l’impression de chanter faux, on se fatiguait et on n’entendait rien et puis ce n’était pas intéressant. Mais c’est passé !

Maguelone Peuchot

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